Sinon toi, tu t’écoutes un peu ?

J’étais une petite fille de 10 ans et avec mes copines on se posait tout en haut du jeu, situé au milieu de la cours de récréation. On échangeait nos envies, nos besoins, nos rêves, nos idéaux de femmes en devenir. On s’imaginait des vies avec un gentil mari, des enfants magnifiques, dans une belle maison. Aussi, souvent avec mes cousines, on passait des heures dans les catalogues d’ameublement, on entourait les meubles et décoration qu’on voulait plus tard. On s’imaginait tellement bien entre quatre murs qu’après avoir fini, on se montrait mutuellement nos trouvailles et la conception de notre maison. C’était comme ça. J’ai grandi dans un environnement où pour être heureuse, il faut tout ce beau packaging. Alors forcément, c’est resté ancré bien longtemps. Encore aujourd’hui.

Île de Langkawi, Malaisie

J’AI 39 ANS

Ça a sonné comme un balle en plein dans ma face, y avait qu’à voir ma tête. Bouche-bée, yeux grands ouverts fixés sur cette femme. J’ai rencontré Ludivine à Kuala Lumpur, capitale de la Malaisie, petite bière avec deux autres voyageurs rencontrés le même jour. On venait de passer déjà quelques heures ensemble, Ludivine n’a pas d’enfant, voyage depuis 14 mois et ne compte pas s’arrêter demain. Quand je la vois, je me dis qu’elle doit avoir 30 ans, ce que je trouve déjà plutôt cool étant donné qu’à 25 ans j’ai des vieilles peurs du type « fais ce voyage avant qu’il ne soit trop tard. » Mais ça veut dire quoi trop tard ? Je suis restée bloquée plusieurs longues secondes quand elle m’a donné son âge, va savoir pourquoi tout s’est bousculé dans ma tête. Mes idées préconçues et mes peurs se sont éclatées au mur et aujourd’hui je dois tout reconstruire, différemment. C’est comme si je venais de prendre conscience que je n’étais pas obligée d’avoir des enfants ni d’être mariée à 39 ans. En l’espace de quelques secondes, j’ai compris qu’il n’y avait aucune barrière à avoir si ce n’est soi. Les grandes normes qu’on nous impose, c’est à nous de les exploser. Je lui parle de certaines de mes envies et craintes , elle me balance : « Alors vas-y, concilie les trois. » Quand je lui explique mon envie d’adopter un chien, d’avoir un petit chez moi et de voyager quelque temps au Canada. Alors que dans ma tête, c’est un combat sans cesse afin de répondre à mes envies et aux exigences de mon entourage. Ludivine se fou de ça et me frappe par sa manière de penser. S’écouter soi-même.

Île de Langkawi, Malaisie


TIC TAC TIC TAC

Je crois que j’ai peur du temps qui passe, ce voyage m’en a fait prendre conscience, alors que c’était là, sous mes yeux, depuis toujours. Je me demande comment ai-je fait pour ne pas m’en rendre compte plus tôt. Etant donné que ça me paralyse à plusieurs niveaux. Et je crois que je me fiche de la mort, car ce n’est pas de mon ressort, je n’ai aucune maîtrise là-dessus. Mais tu vois les années passer, le temps marquer ta vie, les années creuser ta peau, et les normes sociétales qui t’indiquent si tu es en retard ou non, périmé.e ou non, passable ou non, en fonction de ton âge. La pression qui ronge ta vie et l’horloge qui tape au cerveau « eh oh, on se dépêche là, sois pas en retard pour le reste de ta vie ! » C’est-à-dire, ta maison, tes gosses et ton mari. Parfois tu entends dire « Tu as raison de profiter à ton âge. » Mais ça veut dire quoi au juste ? Parce qu’à quarante ans tout cela est fini ? Parce qu’à trente ans on doit s’accommoder d’une grossesse et à trente et un an d’un enfant ? Parce qu’à cinquante ans on ne peut plus vivre ses passions et s’offrir une vie choisie et rêvée ? Au fond les gens qui te balancent cette phrase ça leur permet de se rassurer, histoire de contre-balancer ce qu’ils considèrent comme « passager ». Mais à quelle heure c’est passager de vivre la vie que tu as décidé par toi-même et non par ce que ton environnement t’as forgé ?


EFFACER LES PEURS

Je me la joue souvent. Je me la joue jeune femme indépendante affranchie des règles sociétales qui vis sa vie comme elle l’entend. En réalité j’ai des angoisses qui m’empêchent souvent d’avancer à mon rythme. J’ai peur du temps qui passe, j’ai peur de pas aller assez vite, j’ai peur de pas faire assez bien, j’ai peur de louper quelque chose, j’ai peur de rater ma vie. Quand j’étais plus jeune je m’étais posée une limite du genre qu’à 22 ans je me poserais, j’arrêterais de voguer à gauche à droite, je trouverais un cadre acceptable dans lequel évoluer. Au final, le temps passe et je ne cesse de repousser cette deadline. Encore au début de mon voyage, l’angoisse d’avoir encore cette passion qui me ronge me poussait à penser qu’à mon retour, j’allais devoir rencontrer une personne et qu’au pire elle aurait la même envie de voyage que moi. Pourquoi tu te pousses à réaliser des choses qui au final te freines dans tes projets personnels et professionnels ? Je crois que j’ai un fond hyper romantique, beaucoup plus que ce que je ne le voudrais, beaucoup plus que ce que je ne le montres. J’ai cette envie irrépressible de trouver cette personne, de fonder avec elle quelque chose de serein et sécurisant. Et y a pas de mal à ça, y a pas de mal à avoir ce besoin. Par contre y a à mal quand ça t’empêche de réaliser tes projets personnels et professionnels comme tu l’entends. Quand tu angoisses à l’idée d’entreprendre telle ou telle chose sous prétexte que ça va encore repousser le jour où tu rencontreras LA personne. Rencontre que la société veut te faire croire comme étant le seul goal de ta vie.


Les différentes rencontres que je fais depuis le début de mon voyage, toutes ces histoires, ces âges et ces pensées me bousculent, me permettent de penser différemment. Ou du moins de déplacer des cases, modifier des perceptions, afin de créer quelque chose qui me correspond mieux. Parfois il suffit de déplacer une angoisse, une peur, une idée de quelques centimètres et tout devient plus clair. J’apprends à m’écouter davantage, j’apprends à prendre du temps pour moi, j’apprends à réfléchir par moi-même et non pas par le prisme des normes actuelles. La manière dont tu interagie avec toi-même, je crois, que c’est une histoire de perception et de case. Tu imbrique l’ensemble comme bon te semble, c’est à toi de réfléchir si cela te conviens ou pas. Tu te laisses souvent guider par ton environnement, par les autres, par ta culture lorsque tu te traites toi-même. Alors qu’au fond, il faut savoir s’asseoir, respirer, s’apaiser et tenter de voir plus loin que l’horizon qu’on nous pose sous les yeux depuis gamin.e.

J’ai pas toutes les clefs, j’ai pas toutes les réponses. Ce voyage ne va pas me transformer en une nouvelle personne, ni me faire pousser des ailes. Je vais rentrer en France et je serai toujours moi. Par contre, je vais continuer de travailler sur l’écoute de soi, je vais tenter, tant bien que mal, d’appréhender mes angoisses et ne plus avoir peur d’être vraiment moi. Ne plus me flageller parce que je préfère me focaliser sur mon travail et mes passions plutôt qu’avoir un.e enfant et une jolie maison. Je ne pense pas, loin de là, que les personnes ayant ces buts ne s’écoutent pas. Ce ne sont simplement pas mes priorités à l’heure actuelle et je ne dois pas me freiner pour le regard des autres. Et peu importe qui tu es et quelles sont tes envies, que ce soit voyager, avoir des enfants, apprendre le piano, aimer cette fille, créer ton entreprise ou savoir grimper aux arbres, le plus important est d’être sûr.e que ce soit ton choix et non celui de quelqu’un d’autre. S’écouter soi-même.


Malaisie, île de Langkawi, du 15 au 20 décembre, 5 jours.

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