ILE DE BANTAYAN


Je crois que Bantayan sera mon gros coup de cœur de ce périple philippin. Par sa tranquillité et sa richesse, l’île m’a fait grandir et m’a permis de prendre davantage confiance en moi et en mes capacités, face à la solitude, face aux découvertes. L’île de Bantayan est située dans les visayas, au nord de l’île de Cébu. On m’avait parlé de cette île comme étant hors du temps et épargnée du tourisme de masse. J’avais longuement hésité à m’y rendre, vu le nombre d’îles que compte l’archipel, il fallait faire des choix. Je me suis finalement laissée tenter par Bantayan … et quel plaisir !


La vie que l’on mérite

Pour mes trois premières nuits sur l’île, je décide de louer un hôtel haut de gamme dans le quartier de Santa Fe, besoin de me faire plaisir avec des choses simples : une chambre et une salle de bain privée, une jolie terrasse, un grand lit deux personnes, des draps blancs … Je crois que je suis un peu fatiguée de m’endormir en entendant ma voisine raconter sa vie au téléphone, d’être dérangée dans mon sommeil par le réveil des autres, de prendre mes douches en tong et de devoir trinquer ma biscotte dès le matin. L’envie de solitude aussi se fait sentir, partir en voyage solo et vivre dans des auberges de jeunesse ne permet jamais de longs moments de solitude.

Je suis accueillie par le gérant -« One sparkling water ? », tout en me montrant le bar pour m’assoir. -« With lemon please », je suis déconcertée par l’accueil mais réussi à faire bonne figure. C’est vrai que d’habitude on me demande plutôt mon passeport tout en me montrant mon lit et mon casier. Je pense faire partie de ces voyageuses rares dans ce lieu, avec mon sac à dos de 10kg sur les épaules, je pense que le gérant a davantage l’habitude du bruit des roulettes à valises qui roulent dans ce somptueux jardin. A la dernière gorgée, un jeune homme vient récupérer mon sac à dos et m’accompagne jusqu’à ma chambre. Je ne perds pas de temps à plonger dans ce grand lit qui sera miens pendant 3 nuits et à admirer cette douche italienne. Serait-ce la vie que l’on mérite ?

Perte de repère

Lorsque je visitais les îles précédentes avec C., nous louions un scooter pour deux et je n’avais pas encore le niveau experte (ni aujourd’hui) pour conduire une personne à l’arrière, c’est donc naturellement que j’étais toujours agrippée à l’arrière. Aujourd’hui, armée d’une bonne dose de confiance en soi, je loue un scooter directement auprès de l’hôtel, le démarrage est hasardeux, je n’ai pas conduit depuis Moalboal. Le jeune homme de tout à l’heure vient vers moi pour m’aider -« One on it, accelerate and launch yourself ». Déterminée, je balance la peur et je me lance à la découverte de l’île. Seule, je redécouvre ainsi le plaisir de la conduite, la sensation de liberté décuplé et cette sensation d’indépendance que je n’ai retrouvé à nul autre moment. Je m’éloigne du cœur de l’île qu’est Santa Fe, je me perds sur l’île, c’est ce que j’aime le plus, je me laisse aller sur les routes, sans direction, sans point fixe. Je me laisser aller au gré du vent, au gré de mon instinct. Je découvre à quel point je suis forte, j’ai le cran de m’abandonner dans la campagne philippines seule. En sortant de Santa Fe, en prenant des routes à gauche et à droite, en traversant des petites rues et en m’enfonçant loin des sentiers battus, j’aperçois des enfants et plus je roule, plus les enfants sont nombreux. Je commence à entendre de la musique et des rires. Je fini par me retrouver devant un terrain de basket couvert où se joue des matchs entre les enfants. Je décide de m’y arrêter, certain.e.s enfants me regardent du coin de l’œil, je m’appuie sur un muret près du terrain pour vivre ce moment avec eux. Le toit en taule tape sur tous les corps et je transpire à grosse gouttes, je suis intimidée d’être ici dans ce moment loin du tourisme habituel. Mon instinct est souvent infaillible, sauf la fois où roulant toujours plus loin je me suis retrouvée seule dans un champs entourée de chèvre. Mais ici et aujourd’hui, il me prouve que l’on peut se faire confiance.

Je décide de rentrer à l’hôtel en fin de journée, le soleil se couche tôt ici, à 18h30 je me retrouve déjà dans la nuit noire. Je m’arrête avant sur le coin où pas mal de restaurants se chevauchent, je mange un tacos avec le bruit des vagues. Pour me retour, j’arpente les routes, je fraye mon chemin avec pour seule lumière celle de mon scooter. Je ne suis pas très rassurée mais je dois m’arrêter pour checker mon GPS, je décide alors de m’arrêter devant la seule source de lumière que je vois, devant une petite cabane en bois en bord de route. Une fois devant, je m’aperçois qu’il s’agit d’une petite épicerie attenant à une maison, une gamine est derrière le comptoir. On ne se comprend pas mais j’achète un paquet de cigarette, je pense qu’elle sera bonne ce soir après ma douche. Je vérifie mon GPS, arrivée prévue dans 500m. Je file les yeux plissés, je crois que cela m’aide à mieux voir.


Un seul essai
Mangroves, Bantayan

Les jours suivants je visite quelques lieux de l’île, notamment l’église catholique, les mangroves, le nord de l’île. J’entends aussi parler de Paradise Beach, on dit d’elle qu’elle est irréelle avec peu de monde, il m’en faut alors peu pour m’aventurer sur son chemin. Pour atteindre mon but, je dois faire l’ascension d’un chemin cahoteux, pleins de cailloux plus ou moins gros. D’en bas, mon regard vacille entre mon scooter et moi-même, ai-je la capacité de franchir ce chemin sans me casser la gueule ? Je ne réfléchi pas davantage, rien ne sert de mesurer le pour du contre, il n’y aura qu’un seul essai. Je prends un peu de recul sur mon scooter histoire de me lancer sur ce chemin, j’ai les mains cramponnées au guidon et le regard rivé sur le sol. La route devient longue tant il faut faire attention, j’ai l’impression que ça dure des plombs alors que le chemin doit faire 300m. Une fois hissée là-haut, je paye 50 pesos et je continue ma route vers la plage, sur une route goudronnée cette fois-ci. Et là, le spectacle commence, je suis subjuguée avant même mon arrivée à Paradise Beach.

Arrivée à la plage, je stationne mon scooter devant et m’aventure vers cette petite beauté. Je me trouve un petit coin à l’ombre sous un parasol en dur, près de quelques touristes et locaux, j’installe mon bazar qui se constitut de mon unique serviette de plage et de ma gourde d’eau. Marée haute, l’océan est à mes pieds quand je me tourne vers lui, on ne sait plus quel est le ciel quelle est la mer. L’eau calme est translucide et chaude, je me baigne et nage vers de nouveaux horizons. Irréel.

L’auberge espagnole

Après ces quelques jours en solitaire, je ressens l’envie de rejoindre une petite auberge histoire de remonter mon quota de sociabilisation. Je n’ai surtout plus les moyens de me payer 150 euros de logement. Au petit matin, après quelques recherches, je trouve une auberge un peu plus proche de l’océan. Bagage au dos, j’arpente la route principale pour rejoindre l’auberge et fait signe à un homme en tuk-tuk de s’arrêter afin de m’y déposer. L’auberge est spartiate, je retrouve les dortoirs et sanitaires communs, mais surtout je retrouve l’ambiance de l’auberge avec son jardin convivial où chiller sur des hamacs et discuter dans la cuisine commune est quotidien. Je partage ma chambre avec une philippine, un allemand, deux chiliennes et une française. C’est une auberge comme on les aime, la gérante est une femme au sourire contagieux qui sait réunir les gens. Première soirée, autour d’une bière ou d’une cigarette nous discutons toustes ensemble dans le jardin, assis ici et là, sur un rebord de fenêtre, par terre, sur le hamac ou des coussins. On y cause de tout et de rien, notamment d’une jolie excursion sur Virgin Island et autres petites îles à faire le lendemain ensemble. La gérante de l’auberge, Isabel, nous propose d’être notre guide et de préparer des plats philippins pour le lendemain midi.

Au départ de Bantayan à 40mn environ de bateau et au prix de 1000 pesos, nous rejoignons Virgin Island. Une fois le bateau échoué sur l’île, nous devons payer un prix d’entrée, dégressif selon le nombre de personne. L’île est petite il n’y a donc ni scooter ou autre moyen de locomotion sur place. L’île est sublime, du sable blanc et de l’eau turquoise sous un grand soleil. On s’y balade, se promène, s’y baigne, faisons du snorkeling. Je m’attendais à trouver une île déserte et finalement elle est aménagée pour les touristes : restaurant, balançoire, hamac, ponton, bungalows. Je suis ravie de passer du temps avec mon petit groupe et nous déjeunons ensemble les plats d’Isabel.

Nous terminons notre excursion par une petite île juste à côté, à une vingtaine de minutes en bateau. L’île possède un charme fou, elle semble vivre de la pêche avec tous ses poissons qui sèchent et les bateaux des locaux sur le sable. Nous nous promenons sur l’île et arpentons ses rues. Ici il n’y a pas de touriste et cela nous permet d’échanger davantage avec des philippin.e.s.

fille du quartier

L’enfant de huit ans et l’adolescente de quinze ans me regardent de là où elles on été laissées. L’une laissée sur un banc en bois qui érafle ses cuisses sous sa jupe, assisse là en plein mois de juillet devant le terrain vague, l’autre sur son lit superposé, les jambes se balançant et regardant la nuit noire du haut de sa grande tours. Les deux se connaissent et se rencontrent souvent, par nostalgie parfois et par nécessité souvent. Il faut survivre et se rassurer, il faut une certaine détermination pour se maintenir en vie dans un monde qui hurle. Le corps est là et les pensées sont loin, dans un lointain qui fait rêver, dans un ailleurs qui laisse croire à l’enfant et l’adolescente qu’elles pourront courir, nager, rouler, grimper, rencontrer, rire, sourire et parler. Aujourd’hui à l’autre bout du monde, mon corps est ici avec mes pensées, elles ne s’envolent pas, elles ne tentent pas de fuir, elles ne tapent pas contre la boite crânienne pour s’échapper. Non, elles contemplent ce monde si beau et si vaste, je suis là. Je repense à l’enfant et l’adolescente aujourd’hui car je sais qu’elles sont fières de ce que j’accomplie. Petites filles n’ayant jamais parcourues le monde, ayant supplier terre et mer pour quitter ce monde, ayant user de toutes les stratégies possibles pour partir, oubliant trop souvent que le smic ne permet pas de quitter la cité.

Aujourd’hui, moi fille du quartier, c’est une certaine revanche sur ce à quoi la vie voulait me cantonner, enfermée entre quatre murs, à rester passive d’une vie que je haïs. Une vie qui boufferait jusqu’à la moelle, qui volerait mes rêves et mes désirs pour mieux m’assouvir. Une vie où je ne connaîtrais rien d’autre que travailler, enfanter et décéder. Une vie où on voudrait me faire croire que je ne mérite rien d’autre que les miettes des plus aisé.e.s alors qu’iels usent de certains corps et esprits, qu’elle sait bien choisir.

Il faut renverser et bousculer ce déterminisme qui coule dans mes veines depuis bien trop longtemps mais s’extirper de ces chaînes est rarement possible. Je veux bien faire bander les méritocrates mais la vérité c’est que j’ai la haine qui a prit possession de mon corps, j’ai mal au dos et aux épaules beaucoup trop lourdes de cette histoire. On ne sort pas indemne de toute cette violence, quand la rage bouffe les entrailles pour avoir le droit de vivre et non de survivre.

Alors aujourd’hui je suis là oui, je contemple cet autre monde, à des milliers de kilomètres de la France, j’ai les poumons déployés je respire fort, j’ai le dos droit je ne courbe pas l’échine. Et je me promets une seule chose, continuer de parcourir le monde. Demain, direction l’île de Coron. Ce voyage ne sont pas des vacances, c’est une résurrection.

Philippines, Bantayan, du 17 au 22 janvier 2020.

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